Le transhumanisme n’a pas augmenté les bobines

Le 22 mai 2011

Cyborg, clones et autres humains augmentés sont des personnages fréquents de la science-fiction. Pour autant, peut-on parler de cinéma transhumaniste ?

Si l’on entend par cinéma transhumaniste les films véhiculant la pensée qui promet à l’homme une vie future augmentée par la technologie, « c’est de son absence qu’il faut parler », tranche Manuela de Barros, philosophe, théoricienne de l’art, spécialiste des rapports entre arts, sciences et technologies. Mécène de la Singularity University, haut lieu de ce mouvement fondé par Ray Kurzweil, Google a contribué à faire connaître ce mouvement. Et du coup, entraîner son lot de méprises. Il ne suffit pas qu’un film mette en scène des cyborgs pour classer ce film dans la catégorie transhumaniste.

« Le cyborg est un objet technique, lié à la science militaire, historique aussi puisqu’il est apparu dans les années 1960, à l’initiative de la Nasa qui souhaitait s’en servir pour coloniser d’autres planètes, précise Manuela de Barros. À ce titre-là, il est aussi idéologique. » Le cyborg, concrètement, est un humain sur lequel on a greffé des composants robotiques à des degrés divers. Sa figure-type, c’est le soldat ou le policier. RoboCop est donc un cyborg poussé à un degré extrême : après sa mort clinique, le policier Alex J. Murphy reçoit un corps artificiel. Seul son visage est de chair.

Le cyborg fait partie des figures du transhumanisme. Avec ce dernier, on se dirige vers la Silicon Valley, l’école de Palo Alto et toute la contre-culture Internet, en quête de l’immortalité. Robotique, nanotechnologies, génétique, drogues, tous les moyens sont bons en particulier les avancées de la sciences, pour améliorer l’homme, allonger son espérance de vie et in fine entrer dans la post-humanité, qui suit le point de rupture aussi appelé singularité. Une idéologie forcément élitiste vu les moyens que sa mise en œuvre requiert, mâtinée d’une bonne pointe d’eugénisme.

Un courant le plus souvent représenté par ses opposants

Ce point théorique fait, on comprend mieux le point de vue de Manuela de Barros : si des films traitent bien de la question, pour elle, aucun ne prône ouvertement sa mise en œuvre. « Les représentation sont souvent issues des anti », analyse Manuela de Barros. Pour elle, cette idéologie récente réservée pour l’heure à une élite, argent oblige, liée au capitalisme dans ce qu’il a de plus démesuré ne peut que susciter la défiance. Jusqu’à présent, les films qui l’ont abordée présentent donc une vision critique.

« On retrouve l’univers cyberpunk qui est dystopique : destruction des structures sociales, de l’environnement, explique-t-elle. C’est le cas de Blade Runner, le film de Ridley Scott adapté de la nouvelle de Philippe K. Dick Les androïdes rêvent-ils de moutons électrique ?. On pense à la ville de Neuromancien, un mélange de Tokyo et de New York. » Et même, peut-on parler de transhumain à propos des replicants qui sont la figure centrale de cette œuvre, parfaite reproduction, comme leur nom l’indique, des humains, conçus à partir de culture de chair et de peau ? « Il n’y a pas assez de différences, estime-t-elle. Et les humains les méprisent. » Et de fait, ces clones sont la troisième génération de machines-esclaves destinées à être utilisées sur les colonies spatiales pour accomplir des tâches dangereuses. « Les réplicants sont comme n’importe quelle autre machine – ils sont soit un bienfait, soit un risque. S’ils sont un bienfait, ils ne sont pas mon problème. », dit explicitement Rick Deckard, le héros chargé de les détruire après leur rébellion. On est loin d’un dépassement souhaité de l’humain.

Si Bienvenue à Gattaca (1997) met en scène un univers non point glauque mais parfaitement froid, c’est pour en dénoncer l’échec d’une humanité parfaite obtenue aux moyens de manipulations génétiques. Vincent, l’enfant « naturel », finira pas dépasser son frère Anton, issu de méthodes eugénistes.

Chefs d’œuvre de l’animé, Ghost in the Shell 1 et 2 « dépassent la question du transhumanisme : c’est une évidence dans le film. L’auteur refait l’histoire de la robotique depuis Descartes jusqu’à Donna Haraway, l’auteur du Manifeste cyborg, qui y est d’ailleurs un des personnages. Elle va même jusqu’à se débarrasser de son cerveau, elle devient une machine fluide, une pure conscience qui vit dans le réseau. » Ce qui pose la question de la mémoire, qui revient souvent lorsque l’on évoque l’homme augmenté, c’est elle qui confère l’humanité. Ce thème est ainsi présent dans ce dialogue entre le major et son collègue cyborg Batou, après une scène de plongée :

- Je croyais avoir tout vu dans ma vie mais alors un cyborg qui fait de la plongée, j’en reste le bec dans l’eau, je ne savais pas que ça te plaisait de faire des petites bulles avec des poissons. [...]<

- Quand je remonte en surface en état d’apesanteur, j’imagine que je deviens une autre, que je suis une autre, c’est sûrement l’effet de la décompression. [...]

- [...] Depuis que l’homme maîtrise la technologie, il a réalisé la plupart de ses désirs. Ce serait même presque instinctif chez lui. Nous par exemple, nous sommes le nec plus ultra du métabolisme contrôlée. Cerveau boosté, corps cybernétique, c’était tout récemment de la science-fiction, qu’importe si on ne peut pas survivre sans une maintenance régulière et complexe. On n’a pas à se plaindre, les mises au point sont le prix à payer pour tout ça.

- De toute façon, nous n’avons pas vendu nos ghosts à la section 9.

- C’est vrai. Mais si on décidait de démissionner, il faudrait restituer nos corps de cyborg. Et là il ne nous restera pas grand chose. Le corps et l’esprit sont constitués d’innombrables composants. Comme tous ceux qui ont fait de moi ce que je suis, c’est-à-dire un individu avec une personnalité propre, j’ai un visage et une voix qui me différencient des autres, mes pensées et mes souvenirs sont nés auprès de mes expériences, ils sont uniques et je porte au fond de moi mon propre destin. Et ce n’est encore qu’un détail parce que je perçois et utilise des informations par centaines de milliers et tous ces phénomènes, en se mélangeant, en s’associant, déterminent et construisent ma conscience. Et pourtant, je me sens confinée, limitée dans le cycle de mon évolution.

- Et c’est pour ça que tu plonges ? Mais qu’est-ce que tu peux bien voir au fond de l’eau en pleine obscurité ?

- Ce que nous voyons n’est qu’un pâle reflet dans un miroir. Bientôt, nous nous retrouverons face à face.

De ce point de vue, on peut voir les plongées du major comme une métaphore d’une plongée dans les souvenirs. De même, RoboCop est incapable de donner son nom avant de retrouver ses souvenirs en se rendant dans son ancienne maison, où le flic ordinaire qu’il était vivait avec sa femme et ses enfants. Et lorsqu’il répondra enfin « Murphy », ce sera dans un sourire rabelaisien, « pour ce que rire est le propre de l’homme ». Un RoboCop qui n’a rien à voir avec la jolie vision présentée par les pro-singularité, selon laquelle l’humanité prendra cette voie en chantant : le pauvre Murphy n’a pas demandé à être transformé.

De mémoire il est aussi beaucoup question dans Johnny Mnemonic (1994), comme son nom de famille du héros éponyme le suggère : il tire sa racine étymologique du grec ancien mnêmê, la mémoire (cf amnésie, etc.). Son scénario est encore une adaptation d’une nouvelle de Gibson. Le personnage est une mémoire sur pattes puisque son métier consiste à transporter des données.

De même, c’est aussi la chair qui fait l’homme. RoboCop apparait bien fragile quand il ôte son casque pour laisser apparaître son visage, simple ovale blafard qui le fait ressembler à un travesti trop poudré. Sous le capot, l’humanité. Et lorsque le sergent plonge, c’est aussi pour les sensations charnelles que cette activité lui procure : elles sont aussi une façon de se raccrocher à l’humain.

Le super-héros, trop altruiste pour en être

Certains traits du transhumanisme sont présents dans les superhéros mais leur buts humanistes l’en éloignent. Ainsi, Tony Stark, aka Ironman, est d’abord un génie milliardaire complètement égoïste. Il se dote bien volontairement de superpouvoirs en se greffant un cœur atomique mais ne sombrera pas dans l’hybris, préférant sauver la veuve et l’orphelin, comme ses autres camarades de comics. De même, les X-men sont des mutants altruistes.

La présence de ces figures en partie artificielles s’accompagne aussi souvent de la question des droits que les humains « pure souche » leur accordent. Sont-ils inférieurs et doivent-ils donc être traités comme tels, abattus comme du bétail – ainsi dans Blade runner – dès lors qu’ils deviennent nuisibles, de par leurs revendications-mêmes ? On retrouve là des questions éthiques qui se posent de façon aiguë avec le clonage. Sur ce point, c’est du côté d’une série B, Moon, que Manuela de Barros nous conseille d’aller voir. Il met en scène un employé d’une station lunaire, persuadé d’être isolé sur le site, et qui découvre qu’il n’est qu’un clone à la durée de vie limitée, destiné à être remplacé par un de ses congénères stockés sur le satellite. « C’est une vision anthropocentrée, le personnage principal est seul sur la Lune, de façon symptomatique : quid des modifications que nous faisons aussi subir à l’environnement ? »

De même que le cyborg ne fait pas le transhumanisme, on notera que l’implant robotique ne fait pas le cyborg. L’exemple le plus connu est Dark Vador. Les films de la trilogie de la guerre des étoiles ont beau avoir ce tag, on n’y pense pas spontanément. Dark Vador est surtout vue comme une figure du mal absolu. Sa « cyborgisation » matérialise son passage du côté obscur, montrée de façon explicite à la fin de La revanche des Sith.

Finalement, les adeptes du transhumanisme devraient peut-être se tourner du côté des films de vampire, Frankenstein et autres golem,  nous suggère Manuela de Barros, pour voir exprimer leur vision au cinéma. À une différence près : foin de la technologie, c’est le surnaturel qui est à l’œuvre pour augmenter l’humain.

[maj 24 mai] : Marc signale en commentaire qu’« il existe au moins une œuvre cinématographique célèbre qui est considérée par beaucoup comme le premier film transhumaniste avant la lettre et c’est bien sûr 2001 l’Odyssée de l’Espace de Stanley Kubrick. Sans rentrer dans le détail de toutes les métaphores qu’utilise le film, rappelons qu’après avoir surmonté l’épreuve de la rébellion de l’Intelligence Artificielle HAL, l’humain poursuit son voyage vers un état de Conscience “supérieure” (scène finale) au-delà d’une expérience dont on dirait aujourd’hui qu’elle renvoie à une véritable Singularité (la séquence du puits de lumières). »

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