OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “Enfermer des gens en prison et les priver de sexe est un acte criminel” http://owni.fr/2011/03/29/enfermer-des-gens-en-prison-et-les-priver-de-sexe-est-un-acte-criminel/ http://owni.fr/2011/03/29/enfermer-des-gens-en-prison-et-les-priver-de-sexe-est-un-acte-criminel/#comments Tue, 29 Mar 2011 09:30:33 +0000 Linda Maziz (Zélium) http://owni.fr/?p=53860

Jacques Lesage de La Haye, 72 ans, ex-taulard et doctorant en psychologie, dénonce depuis plus de quarante ans le caractère destructeur de l’univers carcéral. À commencer par la privation de relations affectives et sexuelles en détention qu’il considère comme “une castration pure et simple de l’être humain”.

Assimilée aux châtiments corporels, dénoncée par la Commission européenne des droits de l’Homme, le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains et dégradants, la privation de sexe engendre chez les détenus des dégâts considérables, identifiés et connus depuis bien longtemps par les autorités publiques.

Et pourtant, la France, dans ce domaine, fait toujours figure de lanterne rouge. Une actualité toute relative (une entreprise qui voulait offrir mille sextoys à des taulardes pour leur Saint-Valentin) nous a donné envie de remettre le sujet sur la table.

Et pour en parler, on s’est évidemment adressé au grand spécialiste de la question. Rencontre avec l’auteur de La Guillotine du sexe et de L’Homme de métal, et l’animateur de l’émission Ras-les-murs, diffusée chaque mercredi à 20h30 sur Radio-Libertaire.

Zélium : Pour la Saint-Valentin, une entreprise a voulu offrir 1.000 sextoys à des détenues, mais l’administration pénitentiaire a rétorqué “que le recours à cet accessoire relève de la sphère privée” et que “l’administration n’a pas à le proposer elle-même hors cadre de demandes expresses”.
Cette réponse, ça vous inspire quoi ?

Jacques Lesage de La Haye : En l’occurrence, il s’agit d’un coup médiatique d’une entreprise qui a voulu tirer profit de la misère sexuelle en prison pour essayer de récolter un nouveau marché. Déjà ça, c’est crapuleux.

Mais ce qui me scandalise le plus, c’est que l’administration pénitentiaire ose donner une réponse aussi lénifiante, hypocrite et ambiguë, laissant entendre que ce type de commerce était possible dans l’enceinte de la prison.

L’administration n’a donc pas évolué sur la question du sexe en prison ?

J. L. de La H. : Les seuls progrès enregistrés à ce jour sont extrêmement partiels et insuffisants. On est pourtant quelques-uns à harceler l’administration sur cette question depuis quatre décennies, mais la France en est toujours à un point qui est désespérément grotesque et ridicule.

La problématique de la sexualité en prison a été mise sur le tapis en 1971. À cette époque, il y avait déjà 25 où 30 pays qui s’étaient emparés du sujet à bras le corps.

Avec Michel Foucault et d’autres, intellectuels et taulards, on a créé le Groupe Information Prison, qui a posé le problème. Surtout moi, puisque c’était mon sujet de thèse de doctorat de psychologie et que je voulais qu’on en parle pour que ça change.

Je n’étais pas le seul à avoir constaté les dégâts causés par la frustration affective et sexuelle. Déjà, à ce moment-là, il était urgent de trouver des solutions qui permettraient une prévention et une neutralisation de la souffrance pour que les dégâts ne soient pas aussi considérables qu’ils ne l’étaient.

C’était pas trop compliqué de mettre le dossier sur la table ?

J. L. de La H. : La sexualité en prison, ça a toujours été un sujet tabou qui met tout le monde mal à l’aise. J’ai même des copains qui par souci de dignité me disent “moi j’ai fait 18 ans, j’ai pas eu de problèmes”. Je trouve ça idiot, ce n’est parce qu’on est un homme, qu’on a pas de problèmes.

Et celui qui le tait est un imposteur. Ça peut paraître dévalorisant de dire qu’on a souffert, qu’on a été cassé, qu’on a eu du mal à s’en sortir mais ce n’est qu’en disant la vérité qu’on pose le problème et qu’on peut trouver des remèdes.

Qu’est-ce que vous avez entrepris ?

J. L. de La H. : J’ai continué à m’occuper et à débattre de cette question-là, j’ai publié la première édition de La Guillotine du sexe en 1978 qui reprenait l’essentiel de ma thèse. Il y a eu ensuite la commission architecture prison, où Badinter m’avait chargé en 1984-85 d’interviewer des prisonniers pour savoir s’ils souhaitaient l’équivalent des parloirs intimes. Autant dire qu’on enfonçait une porte ouverte, mais c’était une étape de plus qui amenait cette fois-ci le problème au niveau gouvernemental.

Je me souviens notamment du directeur du centre pénitentiaire de Mauzac en Dordogne qui avait appliqué nos recommandations. Il avait demandé de son propre chef aux gardiens de regarder par terre ou en l’air mais surtout pas à l’intérieur lorsqu’ils surveillaient les parloirs. Derrière cette consigne, il y avait le respect de l’intimité des gens. Sachant qu’il n’y avait pas de regards inquisiteurs, les gens ont pu faire l’amour. Je le sais parce que de septembre 86 à juin 89, il y eu la naissance de huit “bébés parloirs”.

Ça s’est ensuite arrêté avec l’arrivée d’une nouvelle directrice ultra-conservatrice qui s’est empressée de suivre les directives de la droite. De nouveau et comme partout ailleurs, s’ils étaient surpris, les prisonniers risquaient d’être privés de parloir ou d’être mis au quartier disciplinaire.

Pourtant, depuis, il y a bien eu la mise en place des parloirs intimes, les unités de vie familiale ?

J. L. de La H. : La première unité de vie familiale a été mise en route pour la première fois en 2003. Pour l’occasion, j’ai été invité sur un plateau télé où on m’a demandé si j’étais content.

À ce moment là il y avait 187 prisons et une seule équipée. On lance le combat en 1971. C’est déjà urgent et ça devrait être fait depuis longtemps. On commence seulement à les mettre en place en 2003 et on ose me demander si je suis content ? Non, je ne suis pas content, je suis indigné, je suis révolté, je suis scandalisé. Et aujourd’hui, on est en 2011, et les choses ont très peu avancé.

C’est une très belle vitrine, mais ce n’est pas la panacée dont on parle. Soyons clairs, les unités de vie familiale ne concernent que très peu d’établissements et elles ne bénéficient qu’à un pourcentage infime de détenus. La majorité n’en profite pas et la France continue de faire figure de lanterne rouge.

Vous comparez la privation affective et sexuelle à la castration pure et simple de l’être humain ?

J. L. de La H. : Enfermer des hommes et des femmes dans les prisons et les priver officiellement et matériellement de relations affectives et sexuelles est un acte criminel. C’est quelque chose qui les castre, qui les détruit et qui en fait, pour une partie d’entre eux, des obsédés sexuels et affectifs.

Quand j’ai réalisé mon enquête à Caen, la privation engendrait des conséquences incroyables. Un détenu sur trois avait eu une ou plusieurs relations homosexuelles. Évidemment, l’homosexualité me semble être une des choses les plus naturelles, par contre je reste très réservé sur une homosexualité de “circonstance” et donc forcée.

Quand on ne peut pas aller vers le sexe qui nous est habituellement complémentaire, il est bien légitime de retrouver ses partenaires sexuels chez des personnes du même sexe. Il y en a qui y trouvent leur bonheur, mais pour beaucoup, ça se fait dans un climat de honte, de colère, avec une culpabilité prégnante et massive et, à l’intérieur de soi, une haine, une rage et un réel désir de vengeance qui ne présagent pas de lendemains qui chantent à la libération.

Quelles sont les autres conséquences ?

J. L. de La H. : J’ai relevé qu’il y avait aussi 97 % des détenus qui recourraient de manière systématique à l’onanisme. J’ai des témoignages de détenus qui se masturbent huit, dix fois en une journée, pendant des mois et des années. Il faut voir à la longue dans quel état ils se retrouvent.

D’autres avaient développé à l’intérieur de la prison un comportement déviant que l’on va retrouver ensuite à l’extérieur. Il y en avait qui faisaient de l’exhibitionnisme à travers les barreaux en se persuadant qu’on les observait, d’autres qui espionnaient des femmes avec des lunettes optiques.

Je me suis aperçu qu’il existait des tas de moyens de compensation et de substitution pour faire face à cette frustration. Il y avait notamment un jardinier qui était devenu le proxénète d’une truie et qui la louait aux détenus. Il y avait aussi l’histoire d’un jeune qui avait attrapé une chatte et qui avait agrandi son vagin avec un canif pour pouvoir la violer, sans parler de celui qui avait éduqué un serpent pour qu’il lui fasse des fellations…

Quand la relation qu’il peut y avoir entre deux êtres humains prend la forme d’une simple éjaculation dans la gueule d’un serpent, c’est bien que la personne en est réduite psychologiquement, affectivement et émotionnellement à quelque chose de l’ordre d’une désorganisation totale de son psychisme.

En gros, au lieu de réinsérer les détenus dans la société, on crée des monstres ?

J. L. de La H. : C’est sûr que si on veut décapiter symboliquement les être humains, les décérébrer et les détruire émotionnellement et affectivement, il suffit de les enfermer et de les priver de sexualité pendant des années. C’est comme ça qu’on produit des robots et des espèces de monstres détraqués.

Quand ils sortent, les détenus ne sont plus dans le désir, mais dans le besoin. Le désir, c’est la rencontre de l’autre, le besoin, c’est un manque viscéral qui détruit le corps humain, qui écartèle le psychisme et qui rend la relation pathologique.

Si on regarde les sujets “normaux”, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas des criminels sexuels, donc la grande majorité des détenus, cette espèce de destruction psychologique va créer un état permanent de surexcitation et de frustration, que moi j’ai appelé le “syndrome de sursollicitation”.

En fait, ils sont tellement sous-sollicités sur le plan affectif, émotionnel et donc sexuel, qu’une fois sortis du contexte de l’isolement carcéral et remis en circulation dans la société, ils ont l’impression d’être sursollicités : une fille qui passe dans la rue, une publicité avec un corps dénudé, un film avec une scène érotique, ça les perturbe énormément, parce que ça les renvoie à leur frustration.

Et pour les criminels sexuels alors ?

J. L. de La H. : Si le sujet est de surcroît perturbé au départ, parce que c’est un psychopathe, un paranoïaque ou un pervers, non seulement il ne sera pas guéri en sortant, parce que quoi qu’on raconte dans les médias, il ne sera pas suivi, mais en plus, cela va aggraver ces désirs de vengeance et de haine.

Il faut d’ailleurs s’étonner qu’il y en ait si peu qui récidivent. Bien souvent, ils sont dans l’incapacité de recommencer, non pas parce qu’ils sont guéris, mais parce qu’ils sont bien trop traumatisés, dans un état grave d’angoisse, de désespoir, voire d’implosion psychologique.

Il y en a néanmoins qui récidivent et on ne cite que ceux-là, pour nous faire croire que les prisons en sont peuplées. Mais si on regarde la moyenne des peines, en France, c’est huit mois et quelques jours, ce qui prouve bien que ce ne sont pas eux qui sont les plus nombreux en prison.

Tout ce que vous racontez, les politiques le savent très bien. Pourquoi les choses n’avancent pas ?

J. L. de La H. : Pour considérer les choses au point de vue politique, il faut s’intéresser au sens politicien et non pas au sens de gestion de la cité, qui serait une prise de conscience qui nous amène à réfléchir collectivement sur la façon dont on va s’organiser socialement.

La politique, c’est un désir de pouvoir, d’argent, de notoriété et de reconnaissance. C’est quelque chose qui monte à la tête, qui donne du prestige et un quotidien sans le moindre souci matériel. Pour se faire élire et garder le pouvoir, les politiciens savent qu’ils ont intérêt à caresser dans le sens du poil une humanité peureuse, conservatrice et moralisante. En gros, leur discours c’est : “Vous avez peur ? J’en ai conscience, mais ne vous inquiétez pas, je vais vous protéger. Avec moi, vous serez en sécurité et d’ailleurs ce qui crée l’insécurité, ce sont les jeunes, les étrangers, les drogués, les homosexuels”, et tout un tas de gens qui sont des boucs émissaires désignés.

Donc diviser pour mieux régner, mettre de la discorde et ensuite apparaître comme le sauveur. Ces stratégies font que sont élus successivement des droites très réactionnaires et des gauches conservatrices obligées de s’aligner sur le moule sécuritaire pour s’attirer les faveurs des électeurs.

C’est pas ça qui va aider à faire baisser le taux de récidive…

J. L. de La H. : Si au lieu d’augmenter les effectifs de surveillants dans les prisons pour faire plaisir à l’opinion publique, on se disait, il faut multiplier les alternatives à la prison, prévoir davantage d’éducateurs, de psychologues et de travailleurs sociaux pour les aider à surmonter leurs problèmes psychologiques, à acquérir de la culture, à préparer des professions, c’est sûr qu’il y aurait beaucoup moins de récidive.

On a des exemples d’expériences menées dans d’autres pays, où les taux de récidives ont dégringolé. Manque de chance, ce sont des solutions humanistes, progressistes et futuristes, donc on va les décréter “utopistes”. Peut-être qu’elles le sont aujourd’hui, mais comme toujours avec l’utopie, c’est ce qui est impossible aujourd’hui et possible demain.

À partir de là, ceux qui sont élus sont représentatifs d’une opinion publique caressée dans le sens de sa propre peur. C’est pour ça qu’on se retrouve avec des gens très agressifs, rigides et autoritaires comme Hortefeux, Sarkozy, MAM, Rachida Dati… Des gens qui n’ont aucune réflexion, aucune prospective, aucune espérance en l’être humain, aucun sens de l’entraide et de la solidarité. L’inconvénient, c’est que ces politiques à courte vue sont celles qui fabriquent de la récidive.

Et c’est mal parti pour s’arranger…

J. L. de La H. : Effectivement. Les États-Unis, qui détiennent le record du monde, avec plus de 2 millions de détenus, nous proposent un modèle qu’on est en train d’enfourcher comme un dada : les prisons privées, un formidable système pour permettre que les prisons soient rentables.

En gros, on laisse la construction, la gestion, la logistique et l’intendance à des entreprises type Bouygues, La Lyonnaise des eaux ou la Sodexo et il n’y a au fond plus que la surveillance qui reste la propriété de l’administration pénitentiaire.

Autant dire que si les prisons sont confortées par des idées capitalistes de rentabilité, c’est évident que la logique moralisante et sécuritaire ne va pas s’arrêter comme ça. Au contraire. Alors c’est sûr que les centres privés apportent un confort incontestable par rapport aux prisons classiques. Mais, c’est encore moins la prise en compte de l’intérêt des individus, parce que c’est de la recherche de rentabilité.

On a l’impression d’avoir des conditions plus favorables parce qu’il y a un frigo et une douche dans la chambre ou parce qu’il y a une carte d’identité interne bidon, mais pour moi, cet enfermement, c’est le même, sauf qu’il est plus pervers, parce qu’il est moins brutal et moins frontal.

En vérité, l’incarcération devient totalement inhumaine, puisque tout est informatisé et électronique, et à la fin les types ne s’en sortiront pas mieux que ceux qui sont passé par les prisons d’État, parce que ce n’est qu’une espèce de soumission à l’autorité par le biais d’un confort économique.

Propos recueillis par Linda Maziz

Billet initialement publié sur le blog du journal satirique Zélium

Image CC Flickr Colourless Rainbow, lucborell et Gueorgui Tcherednitchenko, etgeek (Eric)

]]>
http://owni.fr/2011/03/29/enfermer-des-gens-en-prison-et-les-priver-de-sexe-est-un-acte-criminel/feed/ 23
Les boules http://owni.fr/2011/02/15/les-boules/ http://owni.fr/2011/02/15/les-boules/#comments Tue, 15 Feb 2011 14:57:14 +0000 Dadouche (Journal d'un avocat) http://owni.fr/?p=46732 Appelons le Kevin .

Je le connais depuis que j’ai pris mes fonctions de juge des enfants il y a un peu plus de quatre ans. Il aura 18 ans en 2011. La première fois que je l’ai condamné, c’était en qualité de présidente du tribunal pour enfants statuant en matière criminelle, pour sa participation à un viol en réunion. Il avait moins de 13 ans lors de ces faits et j’ai ordonné sa mise sous protection judiciaire jusqu’à sa majorité.

J’ai découvert un gamin, pas très futé mais pas idiot, qui a grandi entre deux parents toxico qui ont d’après ce que je sais tous deux connu la prison. Il avait été placé très jeune mais l’opposition massive de la famille et la relative amélioration de la situation des parents avaient conduit le juge des enfants à mettre un terme au placement. Il était, à 14 ans, déscolarisé de fait après une exclusion de plusieurs collèges.

Je l’ai revu quelques mois plus tard, quand il a essayé avec d’autres gamins du quartier une recette de cocktail molotov sur un parking. Pas de dégât, pas de blessé. Je l’ai mis en examen quand il a été déféré, je l’ai confié à un établissement de la Protection Judiciaire de la Jeunesse dont il a très vite fugué. Le temps de le juger devant le tribunal pour enfants quelques mois plus tard, il avait commis de nouveaux délits, des vols en réunion si je me souviens bien. Le tribunal pour enfants l’a condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis mise à l’épreuve. Qui a été partiellement puis totalement révoquée quand il a fugué du Centre Educatif Fermé où les éducateurs avaient fini par trouver une place puis quand il a commis d’autres délits.

Le tribunal pour enfants a prononcé des peines fermes, des peines avec sursis mise à l’épreuve. Il a été incarcéré plusieurs fois. On a tenté des aménagements de peine. La dernière incarcération, durant laquelle il a purgé plusieurs peines, a duré plus de dix mois.

Pas encore 18 ans, déjà 15 condamnations

Avant même sa majorité, il a une quinzaine de condamnations à son casier judiciaire. La prison a fini de l’endurcir et j’ai vu disparaître au fil des condamnations ce qui lui restait d’enfance. Cela fait des années qu’il est suivi (et de près) par la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Les éducateurs se sont relayés pour tenter de nouvelles approches. A son palmarès, des infractions contre les biens, des outrages, des violences au sein des différents établissements où il a été placé. Hormis la première condamnation, pour des faits criminels pour lesquels nous n’avons jamais craint de récidive, ce qu’on appelle de la délinquance de voie publique.

Kevin, je n’en ai pas encore fini avec lui. Je suis à peu près certaine que je le condamnerai encore avant sa majorité, ne serait-ce que pour ces procédures qui datent d’avant sa dernière incarcération mais qui viennent seulement d’arriver sur le bureau du substitut des mineurs. Les policiers traitent les affaires au rythme qu’ils peuvent en fonction des urgences, les fonctionnaires du greffe enregistrent ensuite les procédures transmises comme ils le peuvent vu les piles qui s’accumulent.

En ce moment, ça va à peu près pour Kevin : pas de nouvelle garde à vue depuis sa sortie de détention, un début de projet professionnel grâce à l’acharnement de son éducateur, qui suit plus de vingt autres jeunes. Ca durera ce que ça durera, je me dis que toute période d’accalmie est bonne à prendre et lui permet de faire quelques pas en avant, même s’il doit ensuite reculer un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais…

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Kevin commettra à nouveau des délits et sera jugé un jour, peut-être très vite après sa majorité, par le tribunal correctionnel pour de nouveaux faits de vols avec violence ou d’outrage; ceux qui, il faut bien le dire, sans présenter une gravité extrême, empoisonnent la vie des gens. Vu son casier, il sera condamné à une peine plancher, peut être avec une partie avec sursis mise à l’épreuve. Il rejoindra peut être la cohorte des “19000 personnes qui ont plus de 50 affaires” dont Bruno Beschizza, l’inénarrable ancien dirigeant de Synergie et nouveau conseiller régional UMP en Ile-de-France, nous rebat les oreilles à longueur de plateau télé.

Je n’ai pas de boule de cristal mais je peux raisonnablement penser que le risque que Kevin étrangle un jour une jeune femme ou commette un acte qui le fasse qualifier par le même Bruno Beschizza de “monstre prédateur” est, non pas nulle, peut-être même un peu plus élevée que le reste de la population, mais tout de même assez proche du néant. De même que Bafodé, Steven ou Muhammat, que je connais bien aussi. Ou leurs grands frères que j’ai condamnés en correctionnelle. Et si une part significative de ceux qui ont “plus de 50 affaires” se mettaient à tuer des jeunes filles, je pense que ça se verrait un peu.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux raisonnablement penser que Djamel, que je connais aussi bien que Kevin, passera un jour en Cour d’assises. Oh, rassurez-vous il est en prison. Il n’a pas seize ans. Il n’existe aucune structure qui le “supporte” plus de quelques mois. La prison non plus ne le supporte pas d’ailleurs. Il est dangereux pour lui et pour les autres, mais tous les experts m’écrivent qu’il ne relève pas d’une hospitalisation. Et bientôt il sortira de prison. Parfois ça m’empêche de dormir. Mais je n’ai aucune solution durable à ma disposition. Alors, quand je le condamne, je le condamne à des peines un peu plus lourdes que celles que je prononcerais pour d’autres. J’en ai un peu honte, mais je ne sais pas quoi faire d’autre.
Je n’ai pas de boule de cristal mais je me doute que, le jour où il commettra un acte encore plus grave, on viendra me demander pourquoi je ne l’en ai pas empêché. Je répondrai que je ne pouvais pas faire grand chose d’autre que tout ce que nous avons tenté depuis des années. On me dira sans doute que c’est quand même ma faute, parce que le Président avait dit “plus jamais ça”. Et s’il se suicide en prison, ce sera sans doute aussi de ma faute.

Quand on a rien à perdre, on réfléchit beaucoup moins

Je n’ai pas de boule de cristal mais je sais, depuis bientôt dix ans que je suis magistrat, qu’un vrai suivi social et judiciaire ça n’empêche pas la récidive mais ça en diminue la probabilité. Que quand on a un logement, un travail, une famille, on a quelque chose à perdre et ça peut aider à réfléchir avant de commettre un délit. Parce que quand on est incarcéré, on ne perd pas que la liberté pour un temps. Souvent on perd bien plus. Quand on a rien a perdre, on réfléchit beaucoup moins.

Je sais aussi que quand un conseiller d’insertion et de probation “suit” 135 condamnés, il ne suit rien du tout. Il gère comme il peut, il priorise, il tente de marquer à la culotte ceux qui ont commis les faits les plus graves, ceux qui sont en aménagement de peine.

Je ne fais pas d’angélisme. Des peines d’emprisonnement j’en prononce régulièrement au tribunal pour enfants, en correctionnelle et aux assises.

La douleur des victimes je la connais. J’en ai vu assez pour toute une vie, notamment quand j’étais juge d’instruction. J’ai assisté à des autopsies de victimes de meurtre, j’ai rencontré leurs parents, j’ai tendu des boîtes de kleenex à des victimes de viols.

Le Président de la République n’a pas de leçon à donner aux magistrats sur la douleur des victimes, celle que nous nous prenons en pleine figure. La douleur brute d’une mère à qui on annonce que le corps de sa fille a été retrouvé. Celle, mêlée d’incompréhension, d’enfants dont “Papa a tué Maman”. Celle, sourde, de parents auxquels on explique, pour qu’ils l’apprennent avec précaution, dans la quiétude du cabinet d’instruction plutôt qu’en recevant notification d’un rapport d’expertise ou à l’audience, combien de véhicules ont probablement roulé sur le corps de leur fils après son accident de moto. Celle, paralysante, d’une jeune fille de 17 ans traitée de pute par ceux qui l’ont violée.

L’insupportable “plus jamais ça”

Et pour moi ce qui est indécent c’est de s’approprier la douleur de ces victimes pour faire de la désinformation. Pour promettre l’intenable : “plus jamais ça”.

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je sais que d’autres victimes seront tuées, violées, agressées. Et que ce sera d’abord la faute du meurtrier, du violeur, de l’agresseur. Pas de ceux qui n’avaient aucun moyen de prédire un passage à l’acte ou même parfois de l’empêcher. Ou alors c’est Elizabeth Teissier qu’il faut nommer Garde des Sceaux.

Ce qui est décent et responsable, c’est de dire la vérité. Non, le risque zéro n’existe pas. Dans n’importe quelle société humaine, il y a des crimes. Non, les magistrats, les policiers, les conseillers d’insertion et de probation ne considèrent pas la récidive comme une fatalité. Ils luttent chaque jour pour la prévenir, avec les moyens matériels et juridiques qu’on veut bien leur donner. Non, les magistrats ne sont ni irresponsables ni intouchables. Ils répondent de leurs fautes. Mais seulement de leurs fautes.

Je n’ai pas de boule de cristal.
Là, j’ai juste les boules.


Article initialement publié sur Journal d’un avocat

Illustrations CC WikiCommons; FlickR Beggs et Banspy

]]>
http://owni.fr/2011/02/15/les-boules/feed/ 17
Ces soldes au rayon justice qui provoquent l’ire des magistrats http://owni.fr/2011/02/15/ces-soldes-au-rayon-justice-qui-provoquent-l%e2%80%99ire-des-magistrats/ http://owni.fr/2011/02/15/ces-soldes-au-rayon-justice-qui-provoquent-l%e2%80%99ire-des-magistrats/#comments Tue, 15 Feb 2011 11:56:18 +0000 Michel Huyette (Paroles de juges) http://owni.fr/?p=46757 Il y a des jours comme cela. On croit avoir tout entendu, on croit ne plus être surpris par grand chose, mais il n’empêche que l’on sursaute, avant d’avoir envie de hausser le ton. Et c’est peu dire. Revenons un tout petit peu en arrière …

Voici quelques jours, un drame des plus épouvantables a secoué toute la France. Une jeune fille a été tuée dans des circonstances apparemment barbares , et un homme, présenté dans les medias comme le probable coupable, a été incarcéré. Aussitôt dans la bouche des élus il a été question de récidive, sans même qu’il soit démontré que tel était le cas, et, au plus haut sommet de l’Etat, une fois de plus, il a été promis la sanction des “responsables” de la justice et de la police.

Le Président de la République aurait dit notamment :

Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle

Les raisons de la colère? Le manque de personnels et les coupes dans le budget

Sauf que les éléments rapportés ces derniers jours nous apportent un éclairage bien différent.

Au service de probation du tribunal de grande instance de Nantes , il y aurait selon les informations apportées 16 travailleurs sociaux devant suivre chacun 181 personnes alors que la moyenne nationale est de 84 dossiers par fonctionnaire. A cause du manque majeur de personnel, à la date des faits 896 dossiers n’étaient pas traités, ce qui signifie que cela correspond à près de 900 personnes non suivies (L’Express). (Au même moment le service de probation d’un tribunal important de la région parisienne faisait savoir qu’il existe chez lui 600 dossiers non traités).

Notons en passant que l’individu arrêté faisait l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve pour outrage, ce qui est un très petit délit et peut expliquer, administrativement, que les agents de probation débordés aient privilégié les dossiers impliquant des individus condamnés pour des délits plus graves ou des crimes.

Il a été indiqué à plusieurs reprises que toute la chaîne hiérarchique, jusqu’au ministère de la justice, était totalement au courant et cela depuis longtemps. Pourtant, le ministère de la justice, tout en sachant qu’il manque un juge d’application des peines sur 5 (soit 20 % du personnel), aurait décidé en 2010 de ne pas nommer de quatrième magistrat (Le Point).

Dans un rapport parlementaire (n° 2378) du 15 juin 2005 un député de la majorité écrivait :

A cette faiblesse des effectifs des JAP (ndlr : Juge de l’application des peines) [3.5% des effectifs du corps - 680 dossiers suivis par juge] s’ajoute celle, tout aussi regrettable des services pénitentiaires d’insertion et de probation et des greffes sur lesquels ces juges s’appuient. Compte tenu de ce qui précède, votre rapporteur ne peut que plaider, une nouvelle fois, pour le renforcement drastique des moyens dévolus à l’exécution et à l’application des peines qui doivent être considérées comme une véritable priorité car, à défaut, c’est l’ensemble de l’édifice pénal qui s’en trouve fragilisé.

Le syndicat de la magistrature a rappelé dans un communiqué que “Par des rapports des 19 janvier et 22 octobre 2010, les juges de l’application des peines du tribunal de Nantes ont averti leur hiérarchie que l’absence, depuis un an, d’un quatrième juge de l’application des peines les obligeait à effectuer des choix de priorités”, autrement dit et en clair que tous les dossiers ne pouvaient pas être traités“, et que “Le 4 novembre 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a répondu que malgré de multiples rapports et mises en garde de sa part, la chancellerie avait décidé de ne pas pourvoir le poste manquant de juge de l’application des peines de Nantes, qu’il n’était dès lors pas illégitime que les magistrats établissent des priorités de traitement des affaires et que leurs choix n’étaient pas inopportuns”.

L’union syndicale des magistrats a de son côté fait part de son “écoeurement”, et souligné que

800 dossiers ont, en outre, dû être laissés en souffrance, soit l’équivalent de 10 postes de conseillers d’insertion et de probation que le Ministère de la Justice a fait choix de laisser vacants à Nantes, malgré les rapports répétés des services.

C’est ensuite un syndicat de personnels de l’administration pénitentiaire qui a publié une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat. On y lit notamment :

(..) L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP (ndlr : Service pénitentiaire d’insertion et de probation) de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises. (..) En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011. (..) la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. (..) a famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années.

Le 15 décembre 2010, le directeur inter-régional de l’administration pénitentiaire avait déjà alerté sur les manques en personnels, en ces termes : “Les difficultés en matière de ressources humaines au sein du ministère de la justice nous imposent d’opérer des choix en termes de répartition des effectifs ne permettant pas de satisfaire les besoins exprimés par chaque chef de service. Aujourd’hui c’est l’ensemble des services pénitentiaires d’insertion et de probation et les établissements qui se trouvent en sous-effectif, alors que la loi pénitentiaire vient ajouter de nouvelles missions aux compétences.” (Marianne)

Unanimité chez les magistrats et les fonctionnaires: tous derrière Nantes

De leur côté, profondément heurtés par les propos du chef de l’Etat, les magistrats et fonctionnaires du TGI de Nantes ont décidé de cesser (sauf urgences) toute activité juridictionnelle pendant au moins une semaine, ce qui, dans une sorte de mouvement désespéré de légitime défense, est plus que compréhensible. Et ils ont rédigé une motion dans laquelle ils écrivent notamment que :

(..) le poste de juge de l’application des peines que le ministère de la justice s’est engagé dans la précipitation à pourvoir et le contrat d’objectif décidé dans l’urgence sont un aveu clair de l’incurie des pouvoirs publics et démontrent que la situation déplorable de la justice aurait pu être évitée depuis longtemps.

La conférence des premiers présidents de cour d’appel a – ce qui est rare – publié un communiqué dans lequel il est écrit qu’elle “exprime sa vive préoccupation devant la tentation de reporter sur les magistrats et fonctionnaires, y compris à travers l’imputation de fautes disciplinaires, la responsabilité des difficultés de fonctionnement que connaissent les cours et tribunaux sous les effets conjugués des contraintes budgétaires et des charges nouvelles imposées par la succession des réformes législatives.”
Dans son sillage, la conférence des procureurs généraux a fait valoir, sur un ton inhabituellement clair pour des magistrats de haut rang soumis au pouvoir hiérarchique du ministère de la justice, qu’elle :

Regrette que la responsabilité de magistrats et fonctionnaires judiciaires et pénitentiaires, comme celle des officiers de police judiciaire, qui oeuvrent au service de leurs concitoyens avec courage et détermination, soit publiquement et immédiatement affirmée avant même la publication du résultat des inspections en cours; Assure de sa totale confiance les magistrats et fonctionnaires mis en cause, alors même qu’ils avaient alerté leur hiérarchie de leur situation de pénurie; Constate que paraissent ignorés les efforts anciens et significatifs des magistrats et fonctionnaires pour faire face à l’accroissement constant des charges résultant de l’augmentation du nombre d’affaires à traiter, de l’exigence de performances plus quantitatives que qualitatives et de réformes législatives ininterrompues et complexes, voire divergentes, en particulier en matière d’exécution et d’application des peines tandis que les moyens humains et matériels sont chaque jour plus contraints;

Souligne que cette situation ne permet plus à l’institution judiciaire de remplir intégralement ses missions, obligeant les magistrats et fonctionnaires à fixer des « priorités parmi les priorités »; Appelle en conséquence l’attention sur l’insuffisance critique de moyens qui, dans de nombreuses juridictions, engendre des situations à risque, en particulier dans les domaines de l’exécution et de l’application des peines; Ne méconnaît pas pour autant les mesures qu’il est de la responsabilité des magistrats et fonctionnaires de mettre en œuvre pour améliorer le service qu’ils doivent à leurs concitoyens (..)

Les conférences des présidents et des procureurs ont, ensemble, fait ” part de leur inquiétude devant la recherche systématique, fondée sur une analyse objectivement contestable, des responsabilités individuelles de magistrats et de fonctionnaires qui effectuent leurs missions avec dévouement et en fonction des moyens limités dont le Gouvernement et le Parlement dotent l’institution judiciaire”, et constaté que ” les restrictions budgétaires et la multiplicité des charges nouvelles confrontent les chefs de juridiction à l’impossibilité d’assurer toutes leurs obligations et les contraignent à des choix de gestion par nature insatisfaisants pour une bonne administration de la justice tant civile que pénale et les intérêts des justiciables.”

L’association des juges d’application de peines a diffusé un communiqué de presse

Les enseignants des facultés de droit ont à leur tour voulu faire connaître leur point de vue.

Levée de boucliers chez les familles de victimes

Il est particulièrement intéressant, au vu du drame qui est en partie à l’origine de la polémique, de connaître l’avis de deux grandes associations de victimes, qui ont publié un communiqué dans lequel elles écrivent, notamment :

“elles demandent que les paroles du président de la République réclamant des sanctions pour les responsables des dysfonctionnements du suivi de l’assassin présumé de la jeune Laëtitia, soient traduites en actes. En effet, il apparaît que les responsables en question, ce sont essentiellement les représentants du pouvoir exécutif qui avaient été avertis du manque de moyens de la juridiction nantaise et des difficultés de celle-ci à suivre tous les dossiers des détenus en liberté conditionnelle”,

que ” Les responsables de l’exécutif, pourtant parfaitement informés de la situation délétère dans laquelle sont plongés les services de la probation et de l’insertion, n’ont pris aucune mesure pour y remédier. Pire, obnubilés par la réduction des dépenses publiques et la diminution du nombre de fonctionnaires, ils n’ont fait ces dernières années qu’aggraver la situation”,

que ” Trois rapports officiels, en effet, ont conclu au nécessaire renforcement des effectifs de conseillers d’insertion et de probation (CIP) : le rapport Warsmann en 2003 qui préconisait la création de 3000 postes, le rapport Lamanda en 2008 qui réclamait d’augmenter sensiblement les effectifs de l’insertion et de la probation et, plus récemment, le sénateur UMP Lecerf, rapporteur de la dernière loi pénitentiaire, qui, en 2009, estimait qu’il fallait la création de 1000 postes de CIP, la loi de finances de 2010 n’en prévoira que 260″,

que “Le problème des moyens se pose en fait d’un bout à l’autre du système judiciaire, des juges d’instruction aux juges d’application des peines : 100 000 peines de prison non exécutées, des prisons qui sont une honte pour notre pays et qui, du fait de la surpopulation carcérale et de l’absence de moyens pour le suivi des détenus se transforment en véritables écoles du crime”,

que ” Monsieur Sarkozy préfère rejeter la faute sur les « lampistes » plutôt que d’assumer les conséquences de ses choix politiques. Il est plus facile de surfer sur l’émotion de l’opinion à chaque fois qu’un drame horrible se produit, en désignant des boucs émissaires, que de reconnaître ses propres erreurs d’appréciation et de remédier à la situation en prenant les mesures concrètes dont le système judiciaire a besoin et qui seules permettront de prévenir la survenue d’autres drames dans le futur”,

que ” L’ANDEVA et la FNATH demandent que le gouvernement cesse ses attaques incessantes contre le système judiciaire, qu’il cesse de se précipiter sur chaque crime odieux dans le seul souci de l’exploiter politiquement dans sa lutte contre les magistrats, sans jamais apporter le moindre remède concret aux difficultés pourtant évidentes dont souffre le système judiciaire français”,

enfin que “L’intérêt des victimes, et plus généralement des citoyens, est d’avoir une justice indépendante, responsable et respectée, disposant des moyens nécessaires à son exercice. Force est de constater que ce n’est pas le cas actuellement et que le système judiciaire ne dispose ni du soutient politique ni des moyens lui permettant de remplir pleinement son rôle”.

Résumons tout ce qui précède : la situation catastrophique du service d’application des peines du TGI de Nantes est connue depuis longtemps, mais le ministère de la justice a choisi, en pleine connaissance de cause et en étant conscient des risques encourus, de ne pas y affecter le personnel nécessaire.

“C’est alors que l’inacceptable rejoint l’injuste”

Mais allons encore un peu plus loin car, d’une certaine façon, ce qui atteint l’institution judiciaire, à Nantes, n’est que l’un des arbres de la même forêt.
Que signifie tout ceci ?

Que de nos jours ceux qui, au moment de la préparation et du vote des budgets, décident en pleine connaissance de cause de réduire et limiter les moyens des services publics, n’hésiteront jamais, même en cas de dysfonctionnement découlant essentiellement de l’insuffisance de ces moyens, à désigner comme seuls coupables et comme boucs-émissaires des professionnels étranglés par l’ampleur de leurs missions et incapables de faire mieux quelle que soit leur bonne volonté.

D’un point de vue psychologique cela est relativement aisé à décrypter. En effet quand, comme à Nantes, il semble que la réduction du budget ait entraîné une réduction insupportable des effectifs et que les coupes financières soient à l’origine d’un dysfonctionnement, l’Etat n’a que deux solutions : soit reconnaître qu’il est responsable des choix budgétaires et des décisions permanentes de réduction des moyens humains et financiers des services publics, donc que c’est lui le principal responsable quand la machine ne fonctionne plus, soit essayer, en jouant sur l’émotion pour dissimuler le stratagème tout de même un peu grossier, de trouver un tiers qui puisse être vu comme responsable à sa place.

C’est pas moi, parce que je veux pas que ce soit moi, alors forcément c’est les autres. Un grand classique que l’on voudrait voir limité à la cour des collèges.

L’enjeu n’est donc pas autour de la justice. Tous les professionnels de tous les services publics  ( la santé, éducation nationale, services sociaux, police et gendarmerie etc..), en tous cas tous ceux dont l’activité professionnelle peut présenter des risques importants pour eux ou pour des tiers, doivent comprendre que demain encore plus qu’hier ils sont susceptibles d’être désignés comme responsables en cas de problème grave, et cela peu important la situation réelle à laquelle ils doivent faire face.

C’est alors que l’inacceptable rejoint l’injuste. C’est alors qu’apparaît, à travers des dénonciations injustifiées, un véritable mépris pour des professionnels qui ne demandent pas mieux que d’offrir le meilleur service possible à leurs concitoyens. Sans doute y a-t-il bien longtemps que l’on sait que politique et morale sont deux termes inconciliables. Mais quand mensonges et mépris se conjuguent il n’est plus possible de se taire.

Billet initialement publié sur Paroles de juge sous le titre De la récidive au moyen des services publics: entre mensonges et mépris et sur OWNIpolitics

Illustrations Flickr CC ScottMontreal, Marisseay, Sercasey et Stuant63

]]>
http://owni.fr/2011/02/15/ces-soldes-au-rayon-justice-qui-provoquent-l%e2%80%99ire-des-magistrats/feed/ 3
Ces soldes au rayon justice qui provoquent l’ire des magistrats http://owni.fr/2011/02/08/juge-et-justice-pour-demain/ http://owni.fr/2011/02/08/juge-et-justice-pour-demain/#comments Tue, 08 Feb 2011 19:34:31 +0000 Michel Huyette (Paroles de juges) http://owni.fr/?p=37987 Il y a des jours comme cela. On croit avoir tout entendu, on croit ne plus être surpris par grand chose, mais il n’empêche que l’on sursaute, avant d’avoir envie de hausser le ton. Et c’est peu dire. Revenons un tout petit peu en arrière …

Voici quelques jours, un drame des plus épouvantables a secoué toute la France. Une jeune fille a été tuée dans des circonstances apparemment barbares (1), et un homme, présenté dans les medias comme le probable coupable, a été incarcéré. Aussitôt dans la bouche des élus il a été question de récidive, sans même qu’il soit démontré que tel était le cas, et, au plus haut sommet de l’Etat, une fois de plus, il a été promis la sanction des “responsables” de la justice et de la police.

Le président de la République (2) aurait dit notamment :

Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle

Les raisons de la colère? Le manque de personnels et les coupes dans le budget

Sauf que les éléments rapportés ces derniers jours nous apportent un éclairage bien différent.
Au service de probation du tribunal de grande instance de Nantes (3), il y aurait selon les informations apportées 16 travailleurs sociaux devant suivre chacun 181 personnes alors que la moyenne nationale est de 84 dossiers par fonctionnaire. A cause du manque majeur de personnel, à la date des faits 896 dossiers n’étaient pas traités, ce qui signifie que cela correspond à près de 900 personnes non suivies (L’Express). (Au même moment le service de probation d’un tribunal important de la région parisienne faisait savoir qu’il existe chez lui 600 dossiers non traités).

Notons en passant que l’individu arrêté faisait l’objet d’un sursis avec mise à l’épreuve pour outrage, ce qui est un très petit délit et peut expliquer, administrativement, que les agents de probation débordés aient privilégié les dossiers impliquant des individus condamnés pour des délits plus graves ou des crimes.

Il a été indiqué à plusieurs reprises que toute la chaîne hiérarchique, jusqu’au ministère de la justice, était totalement au courant et cela depuis longtemps. Pourtant, le ministère de la justice, tout en sachant qu’il manque un juge d’application des peines sur 5 (soit 20 % du personnel), aurait décidé en 2010 de ne pas nommer de quatrième magistrat (Le Point).

Dans un rapport parlementaire (n° 2378) du 15 juin 2005 un député de la majorité écrivait :

A cette faiblesse des effectifs des JAP [3.5% des effectifs du corps - 680 dossiers suivis par juge] s’ajoute celle, tout aussi regrettable des services pénitentiaires d’insertion et de probation et des greffes sur lesquels ces juges s’appuient. Compte tenu de ce qui précède, votre rapporteur ne peut que plaider, une nouvelle fois, pour le renforcement drastique des moyens dévolus à l’exécution et à l’application des peines qui doivent être considérées comme une véritable priorité car, à défaut, c’est l’ensemble de l’édifice pénal qui s’en trouve fragilisé.

Le syndicat de la magistrature a rappelé dans un communiqué que “Par des rapports des 19 janvier et 22 octobre 2010, les juges de l’application des peines du tribunal de Nantes ont averti leur hiérarchie que l’absence, depuis un an, d’un quatrième juge de l’application des peines les obligeait à effectuer des choix de priorités”, autrement dit et en clair que tous les dossiers ne pouvaient pas être traités“, et que “Le 4 novembre 2010, le premier président de la cour d’appel de Rennes a répondu que malgré de multiples rapports et mises en garde de sa part, la chancellerie avait décidé de ne pas pourvoir le poste manquant de juge de l’application des peines de Nantes, qu’il n’était dès lors pas illégitime que les magistrats établissent des priorités de traitement des affaires et que leurs choix n’étaient pas inopportuns”.

L’union syndicale des magistrats a de son côté fait part de son “écoeurement”, et souligné que (4)

800 dossiers ont, en outre, dû être laissés en souffrance, soit l’équivalent de 10 postes de conseillers d’insertion et de probation que le Ministère de la Justice a fait choix de laisser vacants à Nantes, malgré les rapports répétés des services.

C’est ensuite un syndicat de personnels de l’administration pénitentiaire qui a publié une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat. On y lit notamment :

(..) L’inspection générale des services pénitentiaires était venue au SPIP de Nantes, il y a quelques mois. Le manque de moyens conduisant à la mise en place, en concertation avec les autorités compétentes, de la mise au placard des dossiers que le service ne pouvait prendre en charge faute de moyens, était connu ! Cette situation, qui existe dans de nombreux services, a été dénoncée à de multiples reprises. (..) En novembre 2010, la CGT Pénitentiaire, en mouvement, demandait entre autres, le recrutement de 1000 travailleurs sociaux, conformément à l’étude de l’impact de la loi pénitentiaire ! Madame Michèle Alliot-Marie, Garde des Sceaux, nous avait gentiment dit que le ministère de la justice et l’administration pénitentiaire étaient des privilégiés : pas d’emplois supplémentaires, hormis les 40 recrutements de travailleurs sociaux pénitentiaires pour l’année 2011. (..) la politique pénale menée par les ministres obéissant à vos ordres, a engendré une surpopulation carcérale, sans recruter des fonctionnaires supplémentaires tant à l’administration pénitentiaire qu’à la Justice en général. (..) a famille de la victime doit savoir que les dysfonctionnements de la Justice ne sont pas le fait d’un fonctionnaire d’un SPIP ou d’ailleurs, d’un magistrat, mais que c’est le fait de la défaillance d’un système, celui de l’Etat qui s’est désengagé de ses obligations depuis de longues années.

Le 15 décembre 2010, le directeur inter-régional de l’administration pénitentiaire avait déjà alerté sur les manques en personnels, en ces termes : “Les difficultés en matière de ressources humaines au sein du ministère de la justice nous imposent d’opérer des choix en termes de répartition des effectifs ne permettant pas de satisfaire les besoins exprimés par chaque chef de service. Aujourd’hui c’est l’ensemble des services pénitentiaires d’insertion et de probation et les établissements qui se trouvent en sous-effectif, alors que la loi pénitentiaire vient ajouter de nouvelles missions aux compétences.” (Marianne)

Unanimité chez les magistrats et les fonctionnaires: tous derrière Nantes

De leur côté, profondément heurtés par les propos du chef de l’Etat, les magistrats et fonctionnaires du TGI de Nantes ont décidé de cesser (sauf urgences) toute activité juridictionnelle pendant au moins une semaine, ce qui, dans une sorte de mouvement désespéré de légitime défense, est plus que compréhensible. Et ils ont rédigé une motion dans laquelle ils écrivent notamment que (5) :

(..) le poste de juge de l’application des peines que le ministère de la justice s’est engagé dans la précipitation à pourvoir et le contrat d’objectif décidé dans l’urgence sont un aveu clair de l’incurie des pouvoirs publics et démontrent que la situation déplorable de la justice aurait pu être évitée depuis longtemps.

La conférence des premiers présidents de cour d’appel a – ce qui est rare – publié un communiqué dans lequel il est écrit qu’elle “exprime sa vive préoccupation devant la tentation de reporter sur les magistrats et fonctionnaires, y compris à travers l’imputation de fautes disciplinaires, la responsabilité des difficultés de fonctionnement que connaissent les cours et tribunaux sous les effets conjugués des contraintes budgétaires et des charges nouvelles imposées par la succession des réformes législatives.”
Dans son sillage, la conférence des procureurs généraux a fait valoir, sur un ton inhabituellement clair pour des magistrats de haut rang soumis au pouvoir hiérarchique du ministère de la justice, qu’elle :

Regrette que la responsabilité de magistrats et fonctionnaires judiciaires et pénitentiaires, comme celle des officiers de police judiciaire, qui oeuvrent au service de leurs concitoyens avec courage et détermination, soit publiquement et immédiatement affirmée avant même la publication du résultat des inspections en cours; Assure de sa totale confiance les magistrats et fonctionnaires mis en cause, alors même qu’ils avaient alerté leur hiérarchie de leur situation de pénurie; Constate que paraissent ignorés les efforts anciens et significatifs des magistrats et fonctionnaires pour faire face à l’accroissement constant des charges résultant de l’augmentation du nombre d’affaires à traiter, de l’exigence de performances plus quantitatives que qualitatives et de réformes législatives ininterrompues et complexes, voire divergentes, en particulier en matière d’exécution et d’application des peines tandis que les moyens humains et matériels sont chaque jour plus contraints;

Souligne que cette situation ne permet plus à l’institution judiciaire de remplir intégralement ses missions, obligeant les magistrats et fonctionnaires à fixer des « priorités parmi les priorités »; Appelle en conséquence l’attention sur l’insuffisance critique de moyens qui, dans de nombreuses juridictions, engendre des situations à risque, en particulier dans les domaines de l’exécution et de l’application des peines; Ne méconnaît pas pour autant les mesures qu’il est de la responsabilité des magistrats et fonctionnaires de mettre en œuvre pour améliorer le service qu’ils doivent à leurs concitoyens (..)

Les conférences des présidents et des procureurs ont, ensemble, fait ” part de leur inquiétude devant la recherche systématique, fondée sur une analyse objectivement contestable, des responsabilités individuelles de magistrats et de fonctionnaires qui effectuent leurs missions avec dévouement et en fonction des moyens limités dont le Gouvernement et le Parlement dotent l’institution judiciaire”, et constaté que ” les restrictions budgétaires et la multiplicité des charges nouvelles confrontent les chefs de juridiction à l’impossibilité d’assurer toutes leurs obligations et les contraignent à des choix de gestion par nature insatisfaisants pour une bonne administration de la justice tant civile que pénale et les intérêts des justiciables.”

L’association des juges d’application de peines a diffusé un communiqué de presse

Les enseignants des facultés de droit ont à leur tour voulu faire connaître leur point de vue.

Levée de boucliers chez les familles de victimes

Il est particulièrement intéressant, au vu du drame qui est en partie à l’origine de la polémique, de connaître l’avis de deux grandes associations de victimes, qui ont publié un communiqué dans lequel elles écrivent, notamment :

“elles demandent que les paroles du président de la République réclamant des sanctions pour les responsables des dysfonctionnements du suivi de l’assassin présumé de la jeune Laëtitia, soient traduites en actes. En effet, il apparaît que les responsables en question, ce sont essentiellement les représentants du pouvoir exécutif qui avaient été avertis du manque de moyens de la juridiction nantaise et des difficultés de celle-ci à suivre tous les dossiers des détenus en liberté conditionnelle”,

que ” Les responsables de l’exécutif, pourtant parfaitement informés de la situation délétère dans laquelle sont plongés les services de la probation et de l’insertion, n’ont pris aucune mesure pour y remédier. Pire, obnubilés par la réduction des dépenses publiques et la diminution du nombre de fonctionnaires, ils n’ont fait ces dernières années qu’aggraver la situation”,

que ” Trois rapports officiels, en effet, ont conclu au nécessaire renforcement des effectifs de conseillers d’insertion et de probation (CIP) : le rapport Warsmann en 2003 qui préconisait la création de 3000 postes, le rapport Lamanda en 2008 qui réclamait d’augmenter sensiblement les effectifs de l’insertion et de la probation et, plus récemment, le sénateur UMP Lecerf, rapporteur de la dernière loi pénitentiaire, qui, en 2009, estimait qu’il fallait la création de 1000 postes de CIP, la loi de finances de 2010 n’en prévoira que 260″,

que “Le problème des moyens se pose en fait d’un bout à l’autre du système judiciaire, des juges d’instruction aux juges d’application des peines : 100 000 peines de prison non exécutées, des prisons qui sont une honte pour notre pays et qui, du fait de la surpopulation carcérale et de l’absence de moyens pour le suivi des détenus se transforment en véritables écoles du crime”,

que ” Monsieur Sarkozy préfère rejeter la faute sur les « lampistes » plutôt que d’assumer les conséquences de ses choix politiques. Il est plus facile de surfer sur l’émotion de l’opinion à chaque fois qu’un drame horrible se produit, en désignant des boucs émissaires, que de reconnaître ses propres erreurs d’appréciation et de remédier à la situation en prenant les mesures concrètes dont le système judiciaire a besoin et qui seules permettront de prévenir la survenue d’autres drames dans le futur”,

que ” L’ANDEVA et la FNATH demandent que le gouvernement cesse ses attaques incessantes contre le système judiciaire, qu’il cesse de se précipiter sur chaque crime odieux dans le seul souci de l’exploiter politiquement dans sa lutte contre les magistrats, sans jamais apporter le moindre remède concret aux difficultés pourtant évidentes dont souffre le système judiciaire français”,

enfin que “L’intérêt des victimes, et plus généralement des citoyens, est d’avoir une justice indépendante, responsable et respectée, disposant des moyens nécessaires à son exercice. Force est de constater que ce n’est pas le cas actuellement et que le système judiciaire ne dispose ni du soutient politique ni des moyens lui permettant de remplir pleinement son rôle”.

Résumons tout ce qui précède : la situation catastrophique du service d’application des peines du TGI de Nantes est connue depuis longtemps, mais le ministère de la justice a choisi, en pleine connaissance de cause et en étant conscient des risques encourus, de ne pas y affecter le personnel nécessaire. (6)

“C’est alors que l’inacceptable rejoint l’injuste”

Mais allons encore un peu plus loin car, d’une certaine façon, ce qui atteint l’institution judiciaire, à Nantes, n’est que l’un des arbres de la même forêt.
Que signifie tout ceci ?

Que de nos jours ceux qui, au moment de la préparation et du vote des budgets, décident en pleine connaissance de cause de réduire et limiter les moyens des services publics, n’hésiteront jamais, même en cas de dysfonctionnement découlant essentiellement de l’insuffisance de ces moyens, à désigner comme seuls coupables et comme boucs-émissaires des professionnels étranglés par l’ampleur de leurs missions et incapables de faire mieux quelle que soit leur bonne volonté.

D’un point de vue psychologique cela est relativement aisé à décrypter. En effet quand, comme à Nantes, il semble que la réduction du budget ait entraîné une réduction insupportable des effectifs et que les coupes financières soient à l’origine d’un dysfonctionnement, l’Etat n’a que deux solutions : soit reconnaître qu’il est responsable des choix budgétaires et des décisions permanentes de réduction des moyens humains et financiers des services publics, donc que c’est lui le principal responsable quand la machine ne fonctionne plus, soit essayer, en jouant sur l’émotion pour dissimuler le stratagème tout de même un peu grossier, de trouver un tiers qui puisse être vu comme responsable à sa place.

C’est pas moi, parce que je veux pas que ce soit moi, alors forcément c’est les autres. Un grand classique que l’on voudrait voir limité à la cour des collèges.

L’enjeu n’est donc pas autour de la justice. Tous les professionnels de tous les services publics  ( la santé, éducation nationale, services sociaux, police et gendarmerie etc..), en tous cas tous ceux dont l’activité professionnelle peut présenter des risques importants pour eux ou pour des tiers, doivent comprendre que demain encore plus qu’hier ils sont susceptibles d’être désignés comme responsables en cas de problème grave, et cela peu important la situation réelle à laquelle ils doivent faire face.

C’est alors que l’inacceptable rejoint l’injuste. C’est alors qu’apparaît, à travers des dénonciations injustifiées, un véritable mépris pour des professionnels qui ne demandent pas mieux que d’offrir le meilleur service possible à leurs concitoyens. Sans doute y a-t-il bien longtemps que l’on sait que politique et morale sont deux termes inconciliables. Mais quand mensonges et mépris se conjuguent il n’est plus possible de se taire.


1. Le corps de cette jeune fille a été découpé avant d’être dispersé.
2. Si le sujet n’était pas si sérieux la phrase semblerait amusante. Il est en effet suggéré de garder les condamnés en prison, même quand ils ont effectué l’intégralité de leur peine, tant qu’il n’y a pas assez d’agents de probation pour s’occuper de tous !  Autrement dit, vous êtes condamné à 2 années de prison dont 1 année avec sursis, vous faites 365 jours de prison, mais comme vous êtes à nantes et qu’il n’y a pas d’agent de probation pour vous suivre, en attendant que les effectifs augmentent vous faites une 2ème, puis une 3ème, puis une 4ème…. année de prison.
3. Les services d’exécution des peines comprennent notamment un ou plusieurs juges d’application des peines, ainsi que des agents affectés au service de probation.
4. L’USMA a aussi publié un livre blanc sur l’état de la justice, que vous trouverez ici.
5. D’autres tribunaux ont adopté des motions semblables.
6. A la question qui lui était posée à l’Assemblée nationale le 2 novembre 2010 sur l’insuffisance des effectifs dans les services de probation la ministre de la justice d’alors a répondu : “Vous estimez le nombre supplémentaire de SPIP insuffisant. Ce n’est pas notre analyse au ministère où plusieurs réunions de travail ont eu lieu sur ce sujet : ce que nous avons prévu semble correspondre aux besoins.”……

Billet initialement publié sur Paroles de juges sous le titre De la récidive au moyen des services publics: entre mensonges et mépris

Illustrations Flickr CC ScottMontreal, Marisseay, Sercasey et Stuant63

]]>
http://owni.fr/2011/02/08/juge-et-justice-pour-demain/feed/ 1