OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 “L’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden” http://owni.fr/2012/11/07/internet-arabe-etait-percu-comme-internet-de-ben-laden/ http://owni.fr/2012/11/07/internet-arabe-etait-percu-comme-internet-de-ben-laden/#comments Wed, 07 Nov 2012 14:10:18 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=125133

Tout et son contraire a été dit, écrit, décrié, affirmé, à propos du rôle des réseaux sociaux dans les révolutions arabes. Nettement moins sur l’Internet arabe avant la chute de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi et des mouvements révolutionnaires qui contestent depuis l’hiver 2010 les régimes en place partout au Moyen-Orient.

Yves Gonzalez-Quijano revient sur ces deux moments dans son ouvrage Arabités Numériques, Le printemps du web arabe. Universitaire arabophone et traducteur, il scrute l’Internet arabe (plutôt l’arabisation d’Internet) et en rend compte, entre autres, sur son blog Culture et Politique Arabes dont les articles ont parfois été repris sur Owni.

Personne n’avait vu venir les soulèvements arabes. Personne n’avait vu venir les jeunes des pays arabes sur Internet non plus. Il y avait pourtant des signes. A la fin des années 1990, un groupe tunisien connu sous le nom de Takriz lance une liste de diffusion sur laquelle circulent des informations alternatives. L’un des membres, Zouhair Yahyaoui (Ettounsi sur les réseaux) devient en 2002 l’un des premiers cyberdissidents arrêté et emprisonné en Tunisie pour son activisme en ligne, presque dix ans avant les révoltes de 2011. Triste symbole.

Marchés de substitution

Dès le début des années 2000, alors que la bulle Internet venait d’éclater, “les pays émergents en général, et ceux du monde arabe en particulier, offr[ent] des marchés de substitution grâce auxquels les industries mondialisées de l’information de la communication pouv[ent] continuer leur croissance”, note Yves Gonzalez-Quijano. Apple, qui proposait des produits arabisés dix ans plus tôt mais a abandonné la voie, est doublé par Microsoft et le multilinguisme d’Internet Explorer.

A la technique s’ajoute une idéologie nationaliste arabe qui veut son industrie du logiciel. Les initiatives de développeurs arabes, notamment en Jordanie, se multiplient. Avec certains succès, comme Maktoub, lancé en 1998 et racheté dix ans plus tard par Yahoo!. Dernier élément : l’envie. “L’arrivée d’Internet dans le monde arabe a été un appel d’air” explique le chercheur à Owni :

Internet, c’est le culte du cargo. Le savoir est accessible immédiatement, il vous tombe presque dessus, tout en échappant au contrôle social de la famille ou de l’entourage. C’est un peu comme lire sous les draps…

Révolutions interconnectées

Au milieu des années 2000, l’Internet a changé, il est moins austère, plus tourné vers l’utilisateur (user friendly). C’est le temps du web 2.0, la grande époque des blogs. Viennent les réseaux sociaux, plus compatibles avec le son et l’image. Avant l’irruption de l’Internet arabe dans les agendas médiatique et politique, avaient eu lieu plusieurs révolutions, écrit Yves Gonzalez-Quijano :

On est en présence non pas d’une seule et unique révolution, celle des réseaux sociaux dont l’extension frappe tellement les esprits aujourd’hui, mais bien de trois ou quatre, successives et interconnectées.

Comment les observateurs du monde arabe ont-ils pu ignorer ce phénomène, l’émergence de cet Internet arabe, ou plutôt l’arabisation d’Internet ? Le chercheur évoque plusieurs pistes dans son livre. ”Un blocage culturel, un exotisme orientaliste en quelque sorte, empêchait d’associer Internet et arabe” résume-t-il. Les rapports sur l’utilisation d’Internet dans la région se concentrent sur la répression, sur la censure. Ce qui a “contribué à ancrer dans les esprits la conviction que l’Internet arabe avait encore devant lui un très très long chemin à parcourir avant de pouvoir exister de plein droit et de contribuer au changement”

L’Internet de Ben Laden

Le comportement des potentats locaux est pourtant plus ambivalent. “Moubarak était perçu comme un tyran rétrograde. Tyran il l’était, mais pas rétrograde ! corrige Yves Gonzalez-Quijano. Beaucoup ont refusé de le voir.” L’Égypte est le premier État arabe à nommer un ministère aux technologies de l’information et de la communication.

Dernier biais : quand elle ne se concentre pas sur la répression, les études des années 2000 échouent sur un autre biais, la (cyber) pieuvre islamiste. La peur panique de l’islamisme après 9/11 “a fortement contribué à faire en quelque sorte ‘disparaître des écrans’ l’activité numérique arabe, totalement recouverte par une nouvelle catégorie, celle du ‘web islamique’, sujet d’un bon nombre d’études” note le chercheur, qui résume à l’oral :

En somme, l’Internet arabe était perçu comme l’Internet de Ben Laden.

Une perception qui a volé en éclat avec les soulèvements de 2011. Le Printemps arabe “a au moins eu cette vertu d’ôter un peu de leur crédibilité aux commentaires inquiets sur les risques du cyberjihad” écrit Yvez Gonzalez-Quijano.


Photo d’Alazaat [CC-by]

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La France équipe la police iranienne http://owni.fr/2011/10/19/la-france-coopere-avec-la-police-iranienne/ http://owni.fr/2011/10/19/la-france-coopere-avec-la-police-iranienne/#comments Wed, 19 Oct 2011 06:27:40 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=83882 En toute discrétion, la France coopère avec les services de police iraniens, par l’entremise de la société de conseil et de service du ministère de l’intérieur français. Contacté par OWNI, un responsable de la société, Civipol, confirme l’envoi de 20 chiens renifleurs. Cette première livraison, sur un total de 52 chiens, sera effectuée le 25 octobre. Elle est financée par le Quartier général de contrôle de la drogue (Drug Control Headquarters) iranien qui dépend du président de la République.

Officiellement, il s’agit de lutter contre le trafic d’héroïne importée d’Afghanistan et transitant par le sol iranien avant d’abreuver les marchés européens. Mais ces chiens pourraient avoir d’autres usages répressifs.

L’opération fait grincer des dents jusqu’au sein du ministère français de la défense, à qui revient la charge de former les chiens en collaboration avec la police nationale. La transaction n’est pas du goût de la Grande Muette, peu encline à endosser la responsabilité de la coopération en matière de sécurité alors que les relations avec Téhéran sont pour le moins tendues. Sans compter le sort – expéditif – réservé aux trafiquants de drogue en Iran…

Vindicte des capitales occidentales

Dernier exemple en date des tensions diplomatiques, le Conseil des affaires étrangères de l’Union Européenne a voté le 10 octobre une nouvelle vague de sanctions. Elles ciblaient 29 responsables iraniens « impliqués dans la répression et la violation des droits de l’homme » a expliqué le Quai d’Orsay dans un communiqué. Deux jours plus tard, Washington accusait l’Iran d’être derrière une rocambolesque tentative d’assassinat de l’ambassadeur saoudien aux Etats-Unis.

Dans ce climat, la formation des chiens n’a pas fait consensus. C’est l’Etat-Major particulier, directement relié à l’Elysée, qui a donné le feu vert, nous a-t-on confié. Personne ne désirait endosser cette responsabilité au ministère de la défense. Un affront inhabituel d’une institution à la réputation moins rebelle, mais l’utilisation des chiens renifleurs inquiète. Il n’est pas impensable que les chiens renifleurs soient utilisés comme chiens mordants. Comprendre pour le contrôle des foules.

Un rapport d’information de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée, déposé le 5 octobre 2011, consacre un long développement à la « répression ferme, suivie d’une dégradation de la situation des droits de l’Homme » depuis 2008. Et de citer, rapports d’Amnesty International et Human Rights Watch à l’appui, « un système de répression massif dirigé contre tous les manifestants » que des chiens déjà dressés pourraient renforcer.

Plus inquiétant, les trafiquants de drogue arrêtés par le régime iranien sont promis à un funeste destin. Les députés de la Commission rapportent que l’ambassade de France en Iran comptait jusqu’à 360 exécutions entre le début de l’année et mi-juin 2011, dont 274 seraient confirmées, la différence étant liée aux « pendaisons de masse des trafiquants de drogue » partiellement confirmées.

En 2010, l’Iran arrivait juste derrière la Chine avec plus de 252 exécutions, contre plus d’un millier par Pékin. Un triste record ramené au nombre d’habitants. Le 13 mai dernier, le secrétaire général du Haut Commissariat pour les droits humains en Iran avait reconnu « le nombre élevé d’exécutions et les avait attribuées aux efforts pour combattre le trafic de drogue » précise un rapport du secrétariat général des Nations-Unies publié le 15 septembre 2011.

Coopérations culturelle et scientifique au point mort

La coopération a connu de meilleurs jours entre la France et l’Iran. Sur les plans culturel et scientifique, elle tourne au ralenti depuis la réélection jugée frauduleuse de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009. Côté iranien, un diplomate nous a assuré que la coopération s’était dégradée avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, unique responsable de l’actuel état des relations conformément à l’antienne diplomatique iranienne.

A propos de la coopération cynotechnique – les chiens, donc – le site de Civipol mentionne trois expériences passées : deux audits en janvier et septembre 2007, ainsi qu’une livraison de vingt chiens en septembre 2008. D’autres ont eu lieu, nous a assuré un responsable de la société, ajoutant que le site n’était plus à jour, sans préciser le détail des opérations antérieures. Les tensions apparues en juin 2009 avaient provoqué une interruption dans les livraisons de chiens. Une information dont le ministère des affaires étrangères assure aujourd’hui ne pas avoir connaissance : « Nous n’avons pas d’information sur l’interruption des livraisons ».


Photo via FlickR LeoAmadeus [by-nc-sa] Defence Images [by-nc]

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L’exemple syrien désenchante Facebook http://owni.fr/2011/05/26/lexemple-syrien-desenchante-facebook/ http://owni.fr/2011/05/26/lexemple-syrien-desenchante-facebook/#comments Thu, 26 May 2011 08:31:36 +0000 Yves Gonzalez-Quijano http://owni.fr/?p=64418 Interrogé le 11 février sur CNN à propos de la suite des événements dans le monde arabe, Wael Ghoneim répondit, à moitié sur le mode de la plaisanterie :

Ask Facebook!

Des propos, qui avec d’autres du même type (“I always said, if you want to liberate a society, just give them the internet”, font écho à toutes sortes de commentaires euphoriques à propos des vertus libératrices des réseaux sociaux et du Web2.0. Mais après bientôt trois mois de manifestations, la situation en Syrie montre, s’il en était besoin, que les choses ne sont pas aussi simples.

A priori, le paysage numérique syrien ressemble pourtant, dans ses grands traits, à ce que l’on trouve ailleurs dans le monde arabe : 30 000 internautes en 2000 (quand Bachar el-Assad était encore le président de la Syrian Computer Society et pas encore celui du pays), 3,5 millions aujourd’hui, soit désormais un taux de pénétration d’internet de près de 16,5 % (un peu plus que celui de l’Égypte). Des organisations internationales dénoncent régulièrement le contrôle extrêmement sévère que les autorités imposent sur le Net, à l’encontre de sites de presse (plusieurs centaines de titres indisponibles, dont Al-Quds al-’arabi ou bien Elaph,) ou encore de blogueurs (condamnation de la jeune Tell Mallouhi à deux ans de prison en novembre 2010). Mais dans le même temps, on constate qu’il existe une blogosphère sans doute moins riche que celle d’Égypte mais tout de même très active, ainsi qu’une presse en ligne plutôt dynamique (voir ce billet d’un chercheur italien sur les carnets de l’Ifpo).

Ceux qui les fréquentent savent que la surveillance des cafés internet n’est pas extrêmement pointilleuse, tandis que les outils de contournement de la censure sont quasiment en vente libre sur les trottoirs des quartiers fréquentés par les geeks locaux. Indisponible depuis novembre 2007 (au prétexte qu’il pouvait être utilisé par des agents israéliens), Facebook, ainsi que d’autres médias sociaux tels que  YouTube, est redevenu accessible au début du mois de février dernier, assez singulièrement juste après les premiers appels à manifester. Dans le contexte actuel, on comprend facilement que tous les sites ne soient pas aujourd’hui très aisés à ouvrir mais, globalement, ceux qui le souhaitent vraiment peuvent surfer à peu près à leur guise.

Réunion, communication, diffusion

Dans les cas tunisien et plus encore égyptien, on a souvent souligné par rapport à la marche des événements comment Facebook avait permis aux manifestants de l’emporter sur les forces de sécurité, notamment en les prenant de vitesse par rapport aux lieux de rassemblement. Rien de tel en Syrie à ce jour, après plus de deux mois de manifestations régulières. Mais on a surtout commenté l’importance des réseaux sociaux pour la communication des informations, à la fois au sein des populations concernées et entre ces populations et le monde extérieur, notamment au sein des diasporas émigrées à l’étranger. Des dizaines et des dizaines de sites ont été ouverts en Syrie où, comme dans les autres pays touchés par les manifestations du « printemps arabe », ils servent de relais pour la diffusion de témoignages, souvent sous forme vidéo. Dans la mesure où les autorités ont fait le choix de fermer les frontières aux représentants de la presse internationale, ce sont ces images que diffusent, plus encore que dans les autres cas, les télévisions, à commencer par Al-Jazeera, objet de sévères critiques, et pas seulement des autorités syriennes.

Pour autant, et quoi qu’en pensent ceux qui estiment que la seule existence de canaux de communication suffit à renverser le cours des choses, il semble bien que la bataille de l’opinion soit toujours indécise, au moins à l’intérieur du pays. Deux mois après le début d’événements commentés par tous les médias du monde, force est de reconnaître que ceux qui contestent le régime, ou qui se contentent d’exiger une accélération des réformes, proposent une narration des faits qui n’emporte pas du moins pour l’heure, l’adhésion de toute la population. Une grande partie de celle-ci, qu’on le veuille ou non, se reconnaît dans la version que donnent les autorités, à savoir celle de manifestations, fondamentalement légitimes mais détournées de leurs véritables objectifs par des agents provocateurs manipulés de l’étranger, eux-mêmes à l’origine de la plupart des nombreuses victimes…

Cette hésitation entre deux lectures des événements, on peut l’expliquer de toutes sortes de manières, en mettant en avant des éléments propres à la situation interne du pays (à commencer par sa composition confessionnelle qui suscite chez bien des personnes la peur d’une fracture interne), ou bien en soulignant la dimension internationale de la crise (avec, comme élément déterminant, les positions de la Syrie vis-à-vis de la politique américaine, lesquelles méritent d’être défendues, quoi qu’il en coûte parfois…). Mais quelle que soit leur pertinence, ces analyses n’apportent pas vraiment de réponse à ceux qui s’étonnent de ne pas constater, dans le cas syrien, le pouvoir intrinsèquement « libérateur » des réseaux sociaux en général et de Facebook en particulier. Même si elles sont loin d’être abouties, les remarques qui suivent se proposent d’apporter des éléments de réflexion.

Dans le contexte propre à la Syrie, avec en particulier le strict contrôle de l’information décidé par un régime qui ne fait pas confiance aux médias internationaux, il apparaît que les réseaux sociaux de type Facebook ne suffisent pas à eux seuls à donner « plus de poids » à un récit plus qu’à un autre. Depuis leurs premières apparitions dans la rue, les manifestants arrivent bien à produire des images, et même à les faire circuler via les médias sociaux de type Facebook ou YouTube, y compris à grande échelle dès lors qu’elles sont reprises par les chaînes télévisées (lesquelles, en Syrie comme ailleurs, demeurent la source d’information de la grande masse du public). Néanmoins, le message véhiculé est loin d’emporter la conviction de tous ceux qui les regardent. Une des explications possibles est que, dans une telle situation de crise, les voix qui s’expriment en dehors de la narration officielle sont celles de militants, et non pas de « journalistes citoyens » comme il y a pu en avoir au Caire par exemple durant toutes les années qui ont préparé la chute du régime.

Dès lors qu’ont été constatées (et le cas s’est présenté plus d’une fois) des exagérations et même des manipulations, la foule des indécis qui peuvent faire basculer l’opinion d’un côté ou de l’autre s’est trouvée confortée dans ses hésitations, en considérant qu’il s’agissait dans un cas comme dans l’autre de discours de propagande. Mais surtout, le changement de support des documents, qui migrent des écrans des ordinateurs pour occuper ceux des téléviseurs, modifie profondément leur lecture : dès lors qu’ils sont intégrés à la rhétorique du discours journalistique, qui (sur)impose ses commentaires, sa mise en récit conforme aux standards du genre, on peut faire l’hypothèses que ces témoignages perdent, au moins pour une partie des spectateurs, de leur crédibilité ; ils sont à nouveau noyés dans une nappe de discours que le public a appris à interpréter et qui n’a plus grand chose à voir de toute manière avec la relation toute particulière de l’utilisateur des médias sociaux découvrant ce que lui propose son cercle de proches connaissances.

Récits contradictoires et partiels

Sur le strict plan de l’information, l’arrivée des médias sociaux sur la scène locale n’est donc guère déterminante, en tout cas pour l’étape actuelle. Indubitablement, ces nouveaux médias ont permis que des faits, qui ne l’auraient pas été autrement, soient connus du public syrien. Néanmoins, pour les raisons qui viennent d’être évoquées, ces récits trop contradictoires, trop partiels, ne parviennent pas à donner une lecture des faits qui emporte l’adhésion de l’opinion. Au contraire, on peut même considérer que la  juxtaposition, au sein des réseaux sociaux, de points de vue totalement opposés et présentés sans la moindre hiérarchie ni autorité selon le principe des groupes de type Facebook ou autre, rend encore plus difficile pour les sujets  d’opter pour ce qu’on peut appeler, à la suite de Michel Foucault, un « régime de vérité », c’est-à-dire le choix d’un système de discours qui fait autorité. S’il est vrai que la constitution d’un réseautage naturel, de pair à pair, contribue en théorie à redonner de la lisibilité et de la crédibilité aux données mises en circulation, ne serait-ce que par l’importance numérique prise par tel ou tel groupe, c’est apparemment moins vrai dans le contexte syrien.

Alors qu’étaient lancés les premiers appels à manifester, on a pu constater que nombre de groupes Facebook, d’un côté comme de l’autre,  n’avaient pas une croissance parfaitement « naturelle », pour différentes raisons parmi lesquelles figure vraisemblablement, dans les deux camps, l’utilisation des techniques de l’infowar avec par exemple la manipulation des profils (enquête sur les méthodes de l’armée américaine dans The Gardian). Les réseaux sociaux, comme le rappelle cet article sur le site middle-east online, peuvent se révéler une arme à double tranchant, maniée aussi bien par les opposants que par les autorités en place. La Syrie n’y echappe pas, avec d’âpres batailles sur le net (et dans les commentaires des médias influents de la région) entre militants des deux camps (article en arabe dans Al-Akhbar).

Reste le dernier aspect du rôle libérateur que peuvent jouer les réseaux sociaux, à savoir la manière dont ils contribuent à la constitution d’une « sphère publique de substitution » au sein de laquelle se construit une société civile suffisamment forte pour modifier de manière déterminante les conditions d’exercice du jeu politique. Par rapport à cette manière d’aborder la question, une conception plus « environnementale » qu’« instrumentale » des nouvelles technologies de l’information et de la communication table sur des transformations plus lentes de la société au sein de laquelle se crée, à travers les réseaux sociaux, un tissu relationnel à partir duquel des changements politiques deviennent possibles.

La Syrie entre-t-elle dans ce type d’analyse ? La réponse viendra du dénouement qui sera donné à la crise que le pays traverse aujourd’hui avec, soit le maintien de la situation actuelle, soit l’accélération des réformes annoncées par le président Bachar El-Assad à son arrivée au pouvoir il y a une décennie, ou bien encore toute autre solution dont décidera l’Histoire.


Article initialement publié sur Culture et politique arabes sous le titre : “Les limites du miracle Facebook : l’exemple syrien”

Crédits photo FlickR by-nc-sa Delayed gratification / by-nc-sa fabuleuxfab / by-nc sharnik

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Féministe et islamique http://owni.fr/2011/03/08/feministe-et-islamique/ http://owni.fr/2011/03/08/feministe-et-islamique/#comments Tue, 08 Mar 2011 00:44:38 +0000 Pierre Alonso http://owni.fr/?p=50184 Féminisme islamique, un oxymore ? Une contradiction dans les termes ? C’est en tout cas ce que répètent ses détracteurs, laïques et religieux. Vingt ans après son apparition, plusieurs succès ont été enregistrés. En 2002, les femmes de Bahreïn obtiennent le droit de vote. En 2005, ce sont les femmes du Koweït qui peuvent désormais se rendre aux urnes. La campagne “Un million de signature” [en] est lancée en 2006 en Iran pour mettre fin aux discriminations légales dont les citoyennes iraniennes sont victimes.

Le féminisme islamique, c’est avant tout un discours né en occident associé à des appartenances religieuses et culturelles non-occidentales. Cette dualité est perceptible jusque dans l’identité des fondateurs, des fondatrices en l’occurrence. Le mouvement apparaît simultanément au Moyen-Orient et dans les universités d’Europe et des États-Unis au début des années 1990.

Égalité des genres

Côté occidental, le féminisme islamique est d’abord porté par l’universitaire américaine convertie à l’islam Amina Wadud. Son ouvrage fondateur, paru en 1992, Qur’an and Woman: rereading the Sacred Text from a Woman’s Perspective, pose les bases théoriques d’une nouvelle interprétation du féminisme. Selon Wadud, l’égalité des genres est au coeur de l’islam.

Côté Moyen-Orient, le magazine iranien Zanan est lancé par Shahla Sherkat. Le récit qu’elle fait de ses débuts est éloquent. Pour avoir soutenu “une ligne [éditoriale] moderniste, occidentaliste et féministe”, elle est remerciée en juin 1991 d’une précédente parution consacrée aux femmes. Désemparée, elle hésite à lancer une nouvelle publication. Alors, elle “L’a consulté [le Coran]”. Et y a trouvé une réponse, positive. Zanan paraîtra donc, tous les mois de 1992 à 2008. Son ambition ? Réhabiliter le terme féminisme. Avant, il “avait un sens péjoratif en Iran” et Zanan entend “donner à ce concept son sens réel et d’en présenter les diverses tendances”.

En se fondant sur l’étude des textes religieux, le féminisme islamique refuse les interprétations sexistes de l’islam. Ses théoriciennes procèdent à une relecture du Coran en mettant en avant les droits accordés aux femmes. Dès la fin des années 1970, une sociologue marocaine, Fatima Mernissi, remettait en cause la validité des propos misogynes attribués au prophète Mohammed contenus dans les hadiths, le recueil des paroles et faits du prophète rapportés par ses compagnons.

Chez Wadud, le précepte religieux, central, “d’égalité absolue en tous les êtres humains” invalide les interprétations patriarcales qui sont faites. Pour d’autres auteures, les hommes et les femmes ne sont pas strictement égaux, mais ont des rôles distincts complémentaires et égaux en valeur ; la théoricienne saoudienne Nora Khaled al-Saad [en] parle d’une “égalité islamique”.

Au-delà des relations hommes-femmes, le féminisme islamique touche à d’autres domaines de la vie sociale et politique. “Les féminismes islamiques luttent contre toutes les formes de domination, qu’elles soient raciales, économiques ou patriarcales” explique Lucia Direnberger, doctorante en sociologie politique à l’université Paris VII sur le genre et la participation politique en Iran et au Tadjikistan. Contrairement aux féminismes chrétien et judaïque, le féminisme islamique a produit “un projet de société : au-delà du débat théologique, les féministes islamiques se sont emparées des questions juridiques, sociales et politiques” poursuit Lucia Direnberger.

Une histoire d’un siècle

Le féminisme islamique n’est pas apparu spontanément au début des années 1990. Dès le début du XXe siècle, le féminisme a eu des échos au Moyen-Orient. Mais les interprétations étaient alors majoritairement laïques, et venaient du sommet de l’État. L’exemple le plus frappant est celui d’Atatürk, en Turquie. Dans son ambition de modernisation, synonyme d’européanisation, il a promu un féminisme laïque, imposé par le haut.

À la même période, les puissances coloniales promeuvent un féminisme européen dans leurs protectorats, en Égypte ou au Liban. L’historienne égyptienne Leila Ahmed [en] parle de “féminisme colonial” à propos de cette première vague féministe dans les pays du Moyen-Orient. En réaction surgit un deuxième mouvement dans les années 1960-1980. Liés aux mouvements anti-coloniaux et islamistes, la deuxième vague dénonce le féminisme importé de l’Occident de la première vague.

C’est dans ces années que l’accès à l’éducation se généralise pour les femmes. Et contribue à l’émergence d’une troisième vague dans les années 1990. Ces femmes, éduquées, issues des classes moyennes, travaillent, tout comme leur mari. Elles importent le discours féministe à l’intérieur de la sphère familiale, une nouveauté par rapport aux mouvements antérieurs. Les jeunes femmes immigrées sont ballotées entre les traditions musulmanes et les aspirations égalitaires de leur pays d’accueil. Le féminisme islamique de la troisième vague nait de cet échange entre l’Occident et les pays d’origine.

Le discours est suivi d’actes. La troisième vague “fait le lien entre le niveau institutionnel, universitaire et la pratique politique” précise Lucia Direnberger. En Iran, les féministes islamiques font parti des mouvements réformateurs et militent pour une démocratisation du régime. Elles rencontrent une répression féroce, à la hauteur des espoirs qu’elles ont semés.

Pour en savoir plus :

  • Critique Internationale, n°46, janvier-mars 2010
  • Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, n°128, décembre 2010
  • Zanân, le journal de l’autre Iran, Shala Sherkat, CNRS Éditions, 2009

Crédits Photo FlickR CC Please! Don’t smile. // Wikimedia Commons

Image de Une par Marion Kotlarski pour Owni

Retrouvez l’intégralité de notre dossier sur la Journée de la Femme.

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